Retour sur la conférence « L'orientation en pratique : quelle éthique, quelle posture » ?

Champ d’action nouveau pour FormaForm, l’orientation était le sujet de cette première conférence de l’après-pandémie (croisons les doigts). Peut-être était-ce lié au plaisir d’enfin se revoir en chair et en os mais le public avait répondu présent et près de 150 professionnels se sont retrouvés au centre IFAPME des Isnes le 24 mars dernier. Entre table-ronde, interventions d’experts et réactions du public, la demi-journée a permis de faire le point sur les tensions et débats qui traversent le champ de l’orientation, écartelé entre politique active, métiers en pénurie, objectifs d’inclusion et désir d’épanouissement.

Voyage à travers 4 planètes

Il était à peine plus de 9h et l’entrée en matière était brutale pour les participants ! Olivier Marchal, directeur de la Cité des métiers de Charleroi, s’employait à réveiller l’auditoire en nous entraînant dans un voyage imaginaire vers quatre planètes aux pratiques bien différentes.

Face à l’égalitarisme des uns, à l’adéquationnisme des autres, à l’absence de tri des troisièmes et à l’égalitarisme des derniers, chacun était amené à remettre en question ses pratiques et à se positionner dans cette constellation d’approches de l’orientation.

Pourrait-on imaginer un système qui traiterait chacun de la même manière où l’orientation serait faite de manière rationnelle, sans enjeux entre opérateurs ? Que donnerait une politique entièrement axée sur l’adéquation de la main-d’œuvre aux besoins de l’industrie et de la société, sans autre considération morale ou philosophique ? Ou cette autre où l’éducation bannirait la notion de tri et de sélection, quitte à créer désordre et incertitude ? Pourrait-on envisager une société où chacun suivrait le même cursus généraliste avant de chercher à trouver sa place dans le monde, en concurrence avec une cohorte de nouveaux arrivés sur le marché de l’emploi sans vraie spécialisation ? Faudrait-il alors modifier complètement notre échelle des valeurs, mettre tous les métiers sur un pied d’égalité ?

Bref, un trait juste assez appuyé pour être provocateur et évoquer les tendances et tentations qui traversent le petit monde de l’orientation, soumis aux injonctions plus ou moins explicites des politiques publiques. Et inviter chacun à réfléchir au meilleur des mondes possibles…

Logiques d’orientation, approches nouvelles et filières STEM

Nous revenions sur Terre – mais l’avions-nous vraiment quittée – pour l’intervention de Frédéric Nils, Professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation et coordinateur d’une étude sur l’attractivité des STEM, ces compétences en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques qui font cruellement défaut et entretiennent la pénurie dans de nombreux métiers.

Notre deuxième intervenant commença par brosser un rapide tableau des différentes logiques à l’œuvre dans l’orientation. Entre celle, économique, qui met l’accent sur les besoins de main-d’œuvre ; celle, sociale, qui cherche avant tout à éviter la marginalisation de personnes éloignées de l’emploi (les NEETS, par exemple); celle, éducative, qui cherche à doter les bénéficiaires de capacités à s’auto-orienter et celle centrée sur l’individu, qui vise l’épanouissement et le bonheur de celui-ci, sans trop de référence au marché de l’emploi ou à l’engagement social, nos politiques d’orientation sont tiraillées entre les besoins du corps social et ceux de l’individu.

Si ces tendances sont à l‘œuvre depuis l’après-guerre ou les années septante, de nouvelles approches se font jour. Frédéric Nils a choisi d’en illustrer deux, le Life design et l’Happenstance.

Dans le premier cas, les personnes en recherche d’orientation sont considérées comme auteurs de leur propre vie et l’intervention est principalement un accompagnement qui vise à les aider dans l’élaboration de leur parcours de vie et de carrière. Cette approche s’appuie largement sur le recours aux pratiques narratives.

L’happenstance – terme difficile à traduire mais que notre orateur résume par « au bon endroit, au bon moment » – insiste sur le caractère imprévisible de nos trajectoires personnelles. Hasard, rencontres et imprévus sont les aiguillages qui concourent à dessiner nos parcours…

Dans cette optique, le rôle de l’orientation revient à préparer les personnes à percevoir et à saisir les occasions qui se présentent. Curiosité, prise de risques, persévérance, flexibilité et ouverture aux possibilités sont des compétences à développer et l’incertitude devient source d’opportunités et plus seulement d’insécurité. Testée avec des publics précaires, la démarche semble donner des résultats intéressants

Frédéric Nils revenait ensuite sur l’étude consacrée aux STEM qu’il a coordonnée. Lancée à l’initiative de Paul De Sacco, elle s’est appuyée sur une large enquête auprès de plus de 6000 jeunes de 12 à 25 ans pour tenter de mettre en évidence les mécanismes qui font que trop peu d’entre eux s’orientent vers les filières scientifico-techniques.

Sans surprise, un facteur sort du lot : le genre. L’influence du milieu et le peu de confiance des filles dans leurs capacités en math et sciences détournent beaucoup d’entre elles de ces filières, qu’elles considèrent aussi comme trop peu orientées vers les relations humaines.

Pour les métiers STEM qualifiés, le niveau d’étude des parents est également un facteur important (une large majorité des élèves ingénieurs civils ont un ou des parents issus de cette filière). La compétence perçue en math et sciences joue ici aussi un rôle majeur.

Quant au métiers STEM moins qualifiés, il s’agit parfois d’un choix par défaut, fondé sur une difficulté et une pénibilité supposées moindres.

Frédéric Nils terminait par quelques recommandations pour renforcer l’attrait des filières STEM : mettre l’accent sur les aspects de « communalité » des métiers STEM pour vaincre une partie des a priori qui en éloignent le public féminin, faire évoluer la pédagogie des maths et des sciences pour rendre leur apprentissage plus concret et davantage lié aux enjeux sociétaux, cibler aussi les parents qui ont un rôle important dans l’orientation des jeunes, évaluer les dispositifs d’insertion pour offrir des réponses efficaces et, enfin, améliorer la collaboration et la complémentarité des actions pour réellement faire évoluer les représentations et les stéréotypes.

Notre intervenant concluait en appelant à une réflexion sur le secret professionnel et la nécessité de l’organiser dans un souci d’éthique et d’efficacité (faciliter les relations entre opérateurs).

Un paysage varié mais des pratiques plutôt concordantes

Impossible de résumer en quelques lignes la table-ronde animée ensuite par Olivier Gilot…
Ingrid Nyström (Cité des métiers de Bruxelles), Vincent Roelandt (InforJeunes), Marianne Leer (FUNOC), Marie Herman (CET Namur) et Marie Bailleux (Interfédé) ont eu l’occasion de confronter leurs pratiques de l’orientation dans des organismes dont c’est le cœur de métier ou seulement l’une des activités. Tous ont mis l’accent sur la diversité des publics (demandeurs d’emploi peu qualifiés ou profils plus diplômés mais aussi travailleurs en bilan professionnel et en recherche de réorientation, etc.) et sur la difficulté à se positionner entre le vertige du Tout est possible et le découragement face au Rien n’est possible.

Tous se retrouvaient également sur la notion d’équité, à leurs yeux plus pertinente qu’une recherche de l’égalité à tout prix.

Ils se rejoignaient aussi pour insister sur la difficulté d’aider des bénéficiaires pour qui faire un choix relève parfois de l’urgence et alors que le temps consacré à la démarche est primordial : la question qui les amène à chercher un conseil n’est souvent pas la plus importante et il faut creuser pour atteindre le cœur du problème… Certains opérateurs, comme le CET ou la Funoc proposent ainsi des parcours assez longs afin d’aboutir à une véritable mise en projet du participant.

Les intervenants se retrouvaient aussi sur la question du titre de « Conseiller en orientation ». On pourrait lui préférer celui d’accompagnateur, plus proche de leur réalité et d’approches qui cherchent à éviter une posture d’expert ou de « sachant » ?

La certification et donc le recours à un référentiel recueillaient certains suffrages mais pas tous, par crainte de perdre la richesse d’équipes réunissant des profils différents.

Quant à savoir si l’orientation est une solution face à la pénurie de main-d’œuvre dans certains métiers, la réponse semblait bien être négative…

L’orientation : une profession sans métier ou un métier sans profession ?

Il ne restait à Bernard Van Asbrouck, docteur en psychologie et psychologie des organisations et conseiller général au Forem, qu’à tenter de conclure la journée.

Profession en train de construire son métier ou métier sans profession ? La question restait pour lui ouverte. Dépourvu d’un code de déontologie explicite, coincé entre l’éthique du « care » et les politiques actives, entre des objectifs d’insertion et d’inclusion, le professionnel de l’orientation est dans une position difficile. Aujourd’hui, le métier tel qu’il est organisé peut sembler inhabitable !

Un grand chantier continue donc à s’offrir au secteur pour construire le métier, le faire respecter et lui donner un cadre déontologique reconnu par les professionnels et par les pouvoirs publics…

Fichiers associé

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Rédigé le jeudi 31 Mars 2022

Temps de lecture : 10 minutes


 
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